Le Classicisme, courant esthétique regroupant l'ensemble des ouvrages qui prennent comme référence esthétique les chefs-d'œuvre de l'Antiquité gréco-latine. Le terme a une définition esthétique mais aussi historique, puisqu'en France l'« époque classique » est la période de création littéraire et artistique correspondant à ce que Voltaire appelait « le siècle de Louis XIV » ; il s'agit essentiellement des années 1660-1680, mais en réalité la période classique s'étend jusqu'au siècle suivant. Le classicisme en France est un cas singulier : cette période a été appelée classique parce qu'elle se donnait comme idéal l'imitation des Anciens, mais aussi parce qu'elle est devenue une période de référence de la culture nationale.
C'est aussi Versailles qui forge, vers 1660, l'idéal de « l'honnête homme » qui se caractérise par une élégance à la fois extérieure et intérieure, signe distinctif d'une société qui a érigé la discipline et l'urbanité en principes de vie. Au-delà de ces définitions historique et esthétique, le sens du terme « classique » a été étendu jusqu'à désigner tout écrivain dont l'œuvre semble propre à être étudiée dans les écoles pour y servir de modèle. Dans un sens encore plus large, est classique toute œuvre culturelle qui est devenue une référence: on dit ainsi couramment de tel film qu'il est un classique. Chaque littérature a ainsi ses écrivains classiques. Il existe par ailleurs des périodes littéraires qualifiées de classiques : « classicisme de Weimar » en Allemagne (du voyage en Italie de Goethe en 1786 à la mort de Schiller en 1805), « âge » de Dryden et de Pope en Angleterre, par exemple. Nous parlerons ici du classicisme du Grand Siècle.
II- Classicisme et baroque
Heinrich publia en 1898 un livre sur l'art italien du XVIe et du XVIIe siècle, l'Art classique, dans lequel il opposait Classicisme et Baroque : d'un côté la ligne droite, la noblesse et l'équilibre, de l'autre la courbe, le mouvement et le foisonnement. D'un côté Raphaël et Poussin (les classiques), de l'autre Michel-Ange et Bernin (les baroques).
La notion de baroque ne sera introduite que plus tard dans l'histoire littéraire française; elle permettra de nommer et de redécouvrir la période historique située entre la Renaissance et le classicisme, période placée sous le signe de l'irrégularité, du spectaculaire, de la métamorphose, de l'éphémère, de l'illusion et de l'identité vacillante.
III- L'idéal classique
Au XXe siècle, André Gide rappelle combien les règles imposées aux écrivains classiques constituent le « cadre » propice à la maturation d'œuvres harmonieuses, dans lesquelles forme et contenu se fondent en une parfaite unité.
Les grands auteurs de l'époque, tels Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, s'inspirent des Grecs, Euripide, Aristophane, Théophraste, Ésope et des Latins, Plaute, Térence, Virgile, Horace et Sénèque. La Bruyère s'inquiète, à la première page des Caractères, que tout soit dit : « En ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l'on ne fait que glaner après les Anciens et les habiles d'entre les modernes ». Cependant cette imitation considérée comme une loi fondamentale de l'esthétique classique ne doit pas être confondue avec le plagiat. Les « disciples » conservent dans leurs œuvres cette part caractéristique de leur époque qui leur permet de faire autre chose que du « Plaute ». de l'« Ésope » ou de l'« Euripide », tout en gardant à ces derniers leur admiration. Dans ce sens, La Fontaine affirme dans son « Épître à Huet » :
« Mon imitation n'est point un esclavage [...]
Je ne prends que le sens et le tour et l'idée
Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité ».
Le culte des Anciens se double du souci d'instruire et de plaire. Pour accéder à cet idéal, il faut remplir certaines conditions que les théoriciens définissent. L'art s'apprend et se maîtrise et une œuvre accomplie est l'aboutissement d'un long travail. C'est à ce prix que les Classiques créent la beauté. La Fontaine reconnaît dans la « Préface » de Psyché : « Mon principal but est toujours de plaire ». Cet objectif est atteint quand l'écrivain se plie aux règles des différents genres littéraires, qu'il apprend à en dominer les contraintes et, à travers elles, à conquérir l'art de communiquer clairement ses idées. L'Art poétique de Boileau (1674) inspiré de la Poétique d'Aristote rend compte de cette perfection qui permet d'allier la vérité d'une pensée et la justesse de son expression. Cet accord du fond et de la forme ne se distingue pas de la beauté.
À ce précepte s'ajoute l'attachement au naturel, vertu classique par excellence, qui régit l'expression littéraire aussi bien que les comportements humains. La prédominance du naturel ne peut être séparée d'un idéal de clarté qui exige, à la fois, une pensée suffisamment limpide pour être totalement communicable, et un langage suffisamment précis pour communiquer cette pensée. À ce propos, Boileau écrit : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement ». Cet idéal littéraire coïncide avec un idéal humain de mesure et d'équilibre. Une fable de La Fontaine, intitulée « Rien de trop », illustre bien ce précepte dont Montaigne au XVIe siècle, avait fait sa règle de vie. Molière fait dire à Philinte dans Le Misanthrope : « La parfaite raison fuit toute extrêmité ». Ainsi, les Classiques condamnent toute forme d'excès. Donc, à la stricte étiquette de la Cour et à une hiérarchie sociale nettement définie, correspond l'ordonnancement des idées et de l'expression, harmonieusement fondues. L'harmonie est le maître-mot qui sous-tend l'idéal classique: harmonie entre l'éclat du règne et celui des arts, harmonie d'une langue limpide au service d'une pensée lumineuse.
IV- Les « phares » de la littérature classique
C'est dans le genre théâtral que se manifeste, dans son plus grand éclat, le génie classique. Molière fait de la comédie un instrument d'analyse de la société et des travers de l'homme. Le Cid de Corneille (1636) est le point de départ pour l'application d'un code théâtral à partir duquel les dramaturges élaboreront les règles qui contribuent à la perfection du genre. La tragédie classique s'inspire essentiellement de l'Antiquité greco-latine. Elle est régie par la règle des trois unités qui impose une action unique, concentrée en un jour, en un seul lieu, sans épisodes superflus. À cette cohésion, s'ajoute une exigence de rigueur formelle puisque la tragédie comporte cinq actes, écrits en vers alexandrins; le respect des bienséances et le souci de la vraisemblance participent également du code de l'écriture théâtrale. Rien de choquant ne doit être représenté sur la scène : ainsi, la mort de Cléopâtre dans Rodogune de Corneille, se déroule dans les coulisses ; le récit de Théramène, dans Phèdre, relate l'épisode de la fin violente d'Hippolyte. Le XVIIe siècle voit aussi la résurgence, après une longue éclipse, de genres littéraires hérités de l'Antiquité : la fable, la satire, les lettres, les maximes et les portraits. La Fontaine illustre magnifiquement le premier dans ses Fables (1668-1678). Boileau, émule d'Horace, écrit des Satires (1666-1668) qui trouvent un grand succès. Mme de Sévigné (1626-1696) mêle dans ses Lettres les « potins » de la Cour et des réflexions morales. Les Maximes de La Rochefoucauld (1664) et Les Caractères de La Bruyère (1688) donnent à la critique sociale une pulsion nouvelle et la transforment en satire. Ces deux ouvrages ouvrent la voie à l'esprit de réforme du siècle suivant. En revanche, l'époque classique semble se désintéresser de la poésie lyrique. On peut, cependant, relever que, chez Racine, le dilemme tragique s'exprime en un lyrisme d'une grande pureté, que Corneille a utilisé les « stances », strophes où les héros exposent leur situation avec une profonde émotion et que La Fontaine lui-même, au détour d'une fable, ose, de temps à autre, une confidence.
La France du XVIIe siècle connaît encore le multilinguisme, avec des parlers ou des accents régionaux et sociaux très contrastés. Cependant, le français n'y est plus perçu comme une langue « vulgaire » par rapport au latin, comme c'était encore le cas au siècle précédent. Reste à en fixer le bon usage, c'est-à-dire « la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps », comme l'écrit Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française (1647). De nombreux ouvrages paraissent à la suite du sien, comme celui de Ménage, Observations sur la langue française (1672). La fin du siècle voit paraître deux grands dictionnaires de la langue française (Richelet, 1680 ; Furetière, 1690) avant celui des Académiciens (1694).
V- Le déclin et les survivants
Vers la fin du XVIIe siècle, les défaites militaires et la misère du royaume ternissent l'éclat des dernières années du règne de Louis XIV. Les problèmes politiques et sociaux l'emportent désormais sur l'idéal de l'âge classique. La Bruyère et Fénelon critiquent la monarchie absolue. L'autorité de la religion est remise en question par Bayle et Fontenelle. De nombreus signes annoncent, dès la fin du siècle, l'avènement de l'esprit nouveau. La Querelle des Anciens et des Modernes, vers 1680, souligne la rupture entre les tenants de l'art classique, qui préconisent l'imitation des écrivains de l'Antiquité, et les Modernes qui trouvent les Anciens « sans goût et sans délicatesse », comme l'affirmait sentencieusement Boisrobert en 1635. Cependant, l'idéal classique survit au XVIIIe siècle à travers des œuvres rigides et formalistes, comme les tragédies de Crébillon (1674-1762) ou celles de Voltaire, grand admirateur de Racine. Mais l'auteur de Zaïre (1732) compense la pauvreté de l'analyse par les effets scéniques. En accordant une grande place au pathétique extérieur, il ouvre la voie au drame romantique.
De Lamartine à Baudelaire, en passant par Vigny et Hugo, les poètes du XIXe siècle respectent les codes de la prosodie classique. C'est avec Rimbaud que l'art poétique connaîtra une véritable révolution dont se réclameront les poètes surréalistes.
Mais l'idéal classique trouvera des défenseurs passionnés même au XXe siècle avec André Gide, François Mauriac, Georges Bernanos et Julien Green, héritiers d'une tradition inaugurée quelque trois siècles plus tôt par le merveilleux roman de Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678).
Lumière sur la Querelle des Anciens et des Modernes.
VI- Conclusion
À partir du classicisme, la réflexion intellectuelle, la recherche de la perfection formelle et la vie sociale cessent d'apparaître comme des sphères séparées. Bien plus qu'un mouvement esthétique, le classicisme apparaît comme une véritable vision du monde, où « tout n'est qu'ordre et beauté ».
C'est, finalement, à un critique contemporain, Jean-Claude Tournand, qu'on peut emprunter ce jugement sur le Grand Siècle: « Dans la mémoire des Français, le XVIIe siècle joue un peu le rôle d'une référence par rapport à laquelle on juge tout le reste, comme, avant le classicisme, on jugeait tout par rapport à l'Antiquité. Cela tient peut-être au fait que, par rapport aux siècles qui l'ont précédé, il inaugure les temps modernes. Mais on peut croire aussi qu'en dépit des luttes qui ont marqué son histoire il évoque la pensée d'une certaine cohésion: l'approche, par différentes avenues, d'un commun idéal de perfection ».
DU BAROQUE À LA RIGUEUR CLASSIQUE
L'importance de la raison au XVIIe siècle conduit parfois à considérer que la poésie, expression de la sensibilité, y joue un rôle mineur. Mais si le développement du Classicisme, à partir de 1661, laisse moins de place au lyrisme personnel, le genre poétique est illustré, dans la première moitié du siècle, par les poètes baroque et précieux. Il prend ensuite une forme plus rigoureuse, privilégiant des orientations critiques et didactiques.
Baroque et Préciosité
Ces deux courants ne peuvent être définis et compris qu'en relation avec les données politiques et sociales de la première moitié du siècle.
Un contexte peu stable
Un premier phénomène d'instabilité est à rattacher à la situation politique. Les deux régences de Marie de Médicis (1610-1617) et d'Anne d'Autriche (1643-1661) constituent des interrègnes parfois agités par des mouvements d'opposition comme celle de la Fronde (1648-1652), et ce, en dépit des efforts de rigueur de Richelieu et de Mazarin.
Par ailleurs, la fin officielle des guerres de religion, avec la promulgation de l’Edit de Nantes en 1598, ne met pas un terme définitif aux troubles civils. L'assassinat d'Henri IV (1610) révèle la persistance d'un fanatisme latent. Des combats ont lieu à Montauban (1621) et à La Rochelle (1626-1627), villes détenues par les protestants.
Enfin, l'essor du courant libertin , qui remet en question l'existence de Dieu et refuse les contraintes religieuses et sociales, sème le trouble dans les esprits et rend plus fragiles les croyances. Dans un environnement aussi perturbé, les certitudes du savoir et les découvertes nouvelles se trouvent ébranlées. Les idées humanistes semblent battues en brèche par des exemples de comportements humains relevant de l'intolérance et de la barbarie. C'est dans ce climat général que naît, dès la fin du XVIe siècle (vers 1580 environ), le courant dit baroque, suivi par le développement des salons* et de la poésie précieuse.
Le Baroque
Il doit son nom à un mot portugais, « Barocco », qui signifie irrégulier et s'appliquait à des perles naturelles. Le courant baroque est en effet caractérisé par des thèmes et des formes qui expriment l'instabilité, l'irrégularité, le foisonnement, le passage. Le sentiment de la fragilité de la vie associé au goût nostalgique pour ses richesses, paysages, fruits, fleurs, émotions, conduit les poètes et les peintres à privilégier l'expression d'une sensualité à la fois épanouie et mélancolique. Chez Saint-Amant, dans le poème “Plainte sur la mort de Sylvie”, Poésie 1629, le ruisseau se trouve associé au temps et à la mort. L'art cherche à saisir ce qui s'échappe, eau, fumée, nuages, lumière, rêves, mouvement. Les poètes et les peintres observent avec fascination des jeux de miroirs et de métamorphoses qui se rattachent au fantastique et tendent dans leurs oeuvres la complexité du trompe l'oeil, le charme des illusions, les dangers des apparences. En peinture se développe le thème des Vanités, qui rassemblent les objets de la vie et le rappel symbolique, sous la forme d'un crâne, de la mort qui attend les humains. Clairs-obscurs, antithèses, métaphores et images jouent un rôle à la fois révélateur et créateur.
La Préciosité
Considérée comme un avatar du baroque, la Préciosité se manifeste d'abord comme une réaction à la grossièreté de la cour d'Henri IV et de celle de la première Régence, peu portées sur les raffinements culturels. Les nobles cultivés et certains bourgeois prennent l'habitude de se réunir dans des salons animés par des femmes, la marquise de Rambouillet ou Mademoiselle de Scudéry, auteur de romans précieux. La recherche d'un raffinement du langage conduit à remodeler le vocabulaire rejet des termes considérés comme « bas » au profit de periphrases, complexes, parfois obscures, mais compréhensibles par les « initiés ». La grande préoccupation de ces salons est la littérature dans ses relations avec l'expression de l'amour. Ainsi s'élaborent de nouvelles règles dans la ligne de la courtoisie médiévale: parcours difficile imposé aux « parfaits amants » selon les conventions de la Carte du Tendre (peinture ci-dessus) ... analyse subtile des sentiments, créations poétiques associant les nouveautés du langage aux symboles empruntés à la mythologie, jeux littéraires comme les maximes ou les proverbes. Étroitement liés à un contexte caratérisé par l'instabilité, ces deux courants disparaissent à mesure que se met en place la centralisation politique. Avec l'ère des « doctes » et des règles, c'est une littérature plus codifiée qui s'élabore. On entre alors dans le Classicisme.
Le Classicisme
Les formes nouvelles de la littérature s'expliquent par une volonté générale d'organisation et de centralisation. D'abord politique, celle-ci s'étend rapidement à tous les domaines culturels.
La centralisation politique
À la mort de Mazarin, en 1661, Louis XIV, qui a vingt-trois ans, exerce seul le pouvoir en affirmant une nette volonté de réduire toutes les formes d'opposition. Développant la vie de cour à Versailles, il y attire les nobles et les retient par des faveurs et des pensions, comme l'analyse avec lucidité Saint-Simon. Il mène parallèlement une lutte contre les protestants, allant jusqu'à révoquer l'Édit de Nantes en 1685. Pour ce qui est des Jansénistes , ils perdent leur monastère de Port-Royal en 1709, par décision royale, et leur doctrine est interdite. La politique centralisatrice du Roi-Soleil se manifeste aussi à l'extérieur du royaume à travers des guerres qui ont pout objectif l'annexion de territoires, la réduction des ambitions d'autres États, la consolidation des frontières.
La centralisation culturelle
Avec Louis XIV, la culture devient une affaire d'État. Le roi protège les artistes et les pensionne; il leur revient en échange de chanter sa gloire et celle du régime, même lorsqu'ils n'en ont pas la charge officielle, comme Racine et Boileau, tous deux historiographes . C'est à son instigation que se développent de nombreuses académies, celle des Inscriptions et Belles-Lettres en 1663, celle des Sciences en 1666. Elles permettent au pouvoir d'exercer une influence sur la pensée par le biais de réglementations qui sont celles des Doctes . En ce qui concerne la poésie, ces différents facteurs expliquent une évolution vers la satire, les fables, les arts poétiques, genres plutôt didactiques, au détriment de l'inspiration lyrique.
Des orientations poétiques nouvelles
L'importance accordée à l'Antiquité dans l'inspiration oriente la poésie vers des genres qui existaient déjà mais qui restaient peu imités. La Fontaine développe et perfectionne la fable en s'inspirant d'Esope et de Phèdre. S'il y fait apparaître son goût personnel pour la nature, c'est surtout dans une perspective de critique morale et sociale qu'il les compose: mise en scène de la cour autour du roi lion, satire des comportements humains masqués par l'emploi des animaux. La présence constante de moralités, comme dans les contes, rappelle la vocation éducative de ces textes dont la métrique et l'écriture relèvent d’une grande virtuosité. Boileau, de son côté, reprend les tendances à la fois narratives, descriptives et critiques de la satire latine. La vie sociale, les embarras de la ville sont des thèmes qui associent l'inspiration antique (Horace, Juvénal) à une observation précise et sévère de la vie contemporaine. Son Art poétique enfin est l'illustration la plus efficace des tendances de l'époque à la codification et à l'élaboration de règles. Il y rappelle, de manière injonctive et didactique, ce qu'il faut respecter pour composer chacun des genres représentés traditionnellement par les Muses. Le poète est défini comme un être inspiré par un souffle divin, qu'il soumet à la rigueur d'un travail acharné: trouver le mot juste, respecter les règles, utiliser une langue précise et claire. La poésie perd alors en spontanéité ce qu'elle gagne en perfection formelle. C'est peut-être ce qui explique que le siècle suivant ne soit guère un siècle réellement «poète ». Si l'on en croit Diderot, seuls de grands événements pourront réveiller l'enthousiasme et le génie poétiques.
De la morale à la contestation
Tandis que le roman évolue de l'héroïsme à l'analyse psychologique, que le théâtre connaît un développement qui le conduit à son apogée, le XVIIe siècle littéraire voit apparaître des genres nouveaux: traités, lettres, maximes, portraits, mémoires. Ils sont caractérisés tantôt par leur brièveté, tantôt par leur forme fragmentaire ou inachevée. Leur succès est représentatif d'orientations nouvelles, qui ne refusent pas l'héritage de la Renaissance, humanisme et respect de I'Antiquiré, mais qui correspondent à un ton et à une écriture libres, souvent critiques. Avec pour thèmes essentiels la nature et la condition humaine, dans une perspective morale, ces nouveaux genres participent à l'élaboration de l'idéal de l'honnête homme. A la fin du siècle cependant, la querelle des Anciens et des Modernes illustre l'évolution de l'inspiration et des mentalités la réflexion morale s'efface au profit de la critique sociale.
La persistance de l'influence antique
Le respect de l'Antiquité fait partie d'un héritage humaniste dont la prose non romanesque porte la marque. L'importance des « humanités » dans l'éducation des classes favorisées fait que la vie intellectuelle (milieux littéraires et artistiques, salons) est imprégnée de références à la culture latine et grecque. Cette influence touche autant l'inspiration que la composition (la dispositio latine). La rhétorique antique sert de modèle aux traités de Descartes et aux discours de Bossuet, avec une exigence de clarté et de rigueur empruntées à l'éloquence et à l'histoire romaines (Cicéron, Tacite, Tite-Live).
Les courants philosophiques de l'Antiquité, stoïcisme et épicurisme , exercent une forte influence sur la pensée. Le stoïcisme enseigne les valeurs de l'héroïsme, du courage et de la volonté, que l'on trouve dans le Traité des passions de Descartes (1649). Ces qualités caractérisent les héros historiques et littéraires de la première moitié du siècle. L'épicurisme trouve un écho dans les préoccupations d'une société dont la vie devient un peu plus raffinée sous le règne de Louis XIV, et se développe dans les milieux libertins.
L'omniprésence de l'Antiquité se révèle enfin dans une admiration visible dans les choix lexicaux, thématiques, culturels. Les personnages des portraits de La Bruyère portent des noms grecs. L'auteur lui-même affirme n'être que le traducteur de l'écrivain grec Théophraste. Lorsqu'il compose un traité d'éducation à destination du jeune duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, Fénelon met en scène le fils d'Ulysse, Télémaque, accompagné de Mentor, qui est l'incarnation de la déesse Athéna. Quant à Boileau, dans les Réflexions sur Longin, il affirme avec force la valeur jugée indiscutable des oeuvres d'Homère, Platon, Cicéron et Virgile. Les genres non romanesques se rejoignent ainsi autour d'une première caractéristique commune, la seconde étant leur intérêt pour la nature humaine.
Une réflexion sur la nature et sur la condition humaine
Dans des perspectives différentes, et à travers des approches diverses, c'est là le thème commun aux Pensées de Pascal, aux Sermons de Bossuet, aux Maximes de La Rochefoucauld, aux portraits de La Bruyère, à la pensée cartésienne, aux correspondances diverses qui jalonnent le siècle.
L'image de l'homme pensant, doué d'un raisonnement qui fait sa force, y est prépondérante. Mais elle est complétée par l'analyse des caractères qui expliquent la faiblesse humaine et font de lui un “roseau pensant” (Pascal): passions, soumission aux modes, présence des puissances trompeuses comme l'imagination ou l'amour-propre, qui entrent en conflit constant avec la raison, incapacité de maîtriser le temps. Le tableau dressé par Pascal est inquiétant errance entre deux infinis, recours au divertissement pour oublier l'angoisse d'une condition mortelle.
Constat pessimiste qui doit conduite l'homme vers Dieu, pour Pascal, avertissement qui doit le faire renoncer aux fausses valeurs, pour Bossuet, la réflexion moraliste sur l'homme donne de la condition humaine une image désabusée qui dépasse toujours l'individu pour accéder au général. Elle englobe les interrogations sur le salut, très incertain dans la perspective janséniste, qui développe la théorie de la prédestination seuls quelques élus prédestinés (désignés à l'avance) seront sauvés. Cette réflexion porte également sur le « sens de la vie », comme en témoignent les correspondances, en particulier celle de Madame de Sévigné. Elle conduit à une morale de l'austérité ou encore au sentiment - par exemple celui des libertins comme le Don Juan de Molière - que la croyance religieuse est une entrave à la liberté et aux plaisirs de la vie dans cette perspective, seule une conception rationaliste du monde permet de vivre selon ses désirs. La prose non romanesque semble ainsi se mettre au service d'une analyse à la fois morale et psychologique de l'être humain considéré dans sa généralité plus que dans sa réalité historique. Les genres dits « mondains » participent pourtant - et par leur nature même - à l'élaboration d'un idéal représentatif du siècle, l'honnête homme.
L’honnête homme (version plus complète plus bas)
Les genres prosaïques non romanesques complètent le portrait d'un homme idéal, intégré à la vie sociale, que tracent le roman, le théâtre, les fables. Mais ces genres, mondains (en ce que leurs auteurs appartiennent souvent aux classes favorisées), participent à ce portrait a contrario, en apportant des critiques à partir desquelles se dessine l'idéal. On le perçoit clairement dans les portraits de La Bruyère inspirés par les personnages de la cour, facilement identifiables pour les contemporains, ils mettent en évidence des traits critiquables et dénoncent des comportements excessifs au point d'en être ridicules. Le portraitiste rejoint ainsi Molière mettant en scène les excès pour mieux faire comprendre la valeur de la modération. Au-delà des individus, les groupes sociaux sont également visés, comme chez Madame de Sévigné, La Rochefoucauld ou le cardinal de Retz. L'utilisation du « regard étranger » dans la critique des courtisans, les effets d'attente et de surprise dans certaines lettres, la mise en situation presque théâtrale sont autant de oyens d'attirer l'attention des lecteurs sur les aspects négatifs et outrés des moeurs de la cour. A une époque où tout se trouve régenté et codifié par l'entourage royal, la manière de s'habiller comme celle de penser, le « bon goût », où l'avis du Roi-Soleil décide du succès ou de l'échec d'une oeuvre, la dénonciation de l'hypocrisie et de la soumission contribue à l'établissement de valeurs différentes. L'honnête homme se définit ainsi par le refus de moeurs et de pseudo-valeurs pourtant abondamment illustrées et incarnées dans la vie de cour. Le terme « honnête » fait référence à une générosité et à une courtoisie qui refusent le mensonge et l'ostentation, comme le rappelle Madame de Sévigné dans sa lettre “Le roi se mêle depuis peu de faire des vers”. L'idée de modération et de naturel se révèle dans l'autoportrait de La Rochefoucauld . La véritable sociabilité est à l'opposé des mondanités flatteuses de la cour et de la cruauté qui règle les rapports sociaux. Inscrits dans le temps et dans l'histoire, les genres prosaïques non romanesques contribuent ainsi à la mise en place d'une critique qui s'oriente vers la contestation. La querelle qui marque la fin du siècle et le début du suivant en est l'illustration.
La querelle des Anciens et des Modernes
L'origine de cette « bataille » littéraire, qui oppose les partisans de l'Antiquité aux adeptes du progrès, est la question du goût, de la pérennité des oeuvres et donc de la nature de leur inspiration et de leur relation avec le public. Au-delà de la querelle sut les textes, l'enjeu est l'évolution, le progrès. Le débat est donc historique et culturel. Il est aussi politique. Il met face à face deux groupes. Les « Anciens» comme Boileau, La Fontaine, La Bruyère, restent inconditionnels de l'admiration de l'Antiquité, prise définitivement comme modèle, et inégalable. Les « Modernes » regroupent Perrault, Fontenelle, Bayle, Saint-Evremond. Entre les deux groupes s'échangent de nombreux textes polémiques L’Epître à Huet (1687) de La Fontaine, la Digression sur les Anciens et les Modernes (1688) de Fontenelle, les Réflexions sur Longin (1694) de Boileau, les Parallèles des Anciens et des Modernes (1688-1697) de Perrault. Mais la querelle se termine sur la victoire des « Modernes », ce qui n'étonne pas, compte tenu de son caractère historique. La présence de Bayle et de Fontenelle parmi les vainqueurs est significative. Partisans de l'esprit d'examen , qui refuse la croyance aveugle dans la tradition et le principe d'autorité, ils ouvrent la voie à une pensée nouvelle, qui ne refuse pas l'Antiquité mais ne la considère plus comme modèle unique. La querelle est ainsi révélatrice d'une volonté et d'une nécessité de se libérer de certaines contraintes du passé pour ouvrir la voie à l'évolution. On peut ainsi observer que les genres qui n’appartiennent pas à la f'ïctfon ont joué, tout au long du siècle, des rôles multiples. Représentatifs d'une vocation didactique et apologétique de la littérature, ils illustrent également la vie sociale à travers leur caractère mondain. Ils apparaissent donc comme des témoignages historiques de l'époque, l'occasion d'une réflexion intemporelle sur l'homme et les supports d'une contestation sociale amplement développée au siècle suivant.
L’honnête homme au XVIIe siècle
Un homme agréable et ouvert i L'honnête homme » : combien de fois trouve-t-on cette expression sous la plume des écrivains du XVIIe siècle, en oarticulier dans les ouvrages de Nicolas Faret (voir p. 82) et du chevalier de Méré (voir p. 267) qui y consacrent l'essentiel de leurs analyses ! Il ne faut pas s'y tromper. Sa signification est bien éloignée de celle qu'on lui donne couramment de nos jours. Cette formule sert alors à désigner un idéal, celui de l'homme du monde, de l'homme de cour. Elle renvoie à un comportement social. L'« honnête homme », c'est d'abord celui qui sait briller en société. Il veut plaire, séduire. Il est passé maître dans l'art d'être agréable. Ses manières sont raffinées, ses vêtements élégants, mais d'une élégance qui évite de tomber dans l'excès. Il possède le talent de la conversa¬tion : il ne se met jamais en avant, mais, au contraire, permet aux autres de s'exprimer, souligne, au passage, la ustesse d'une idée, le bonheur d'une expression. Il montre ainsi son ouverture d'esprit, sa capacité à s'effacer, à dominer son amour-propre, son égoïsme. Il lui faut, en toutes occasions, offrir un visage détendu, souriant, ne pas infliger le spectacle de sa mauvaise humeur ou de son irritation. Il a le sens de l'humour, de la plaisanterie, mais d'une plaisanterie fine qui fait sourire plutôt que rire. Une grande capacité d'adaptation Cette manière de se comporter en société ne s'improvise pas : elle suppose à la fois un sens aigu de l'observation et une grande capacité d'adaptation. L'« honnête homme » excelle à juger une assemblée, à apprécier avec exactitude sa composition et ses dispositions. C'est là une condition indispensable pour pouvoir faire bonne figure dans tous les milieux et en toutes circonstances. L'« honnête homme » connaît à merveille son monde et sait adapter son comportement à la personnalité de celui à qui il s'adresse. Il n'aura pas la même attitude avec un cardinal, un maréchal ou une jeune coquette. Il n'abordera pas non plus les mêmes sujets de conversation, mais cherchera ce qui peut intéresser son interlocuteur : au cardinal, il parlera théologie, il questionnera le maréchal sur sa dernière campagne, il tiendra à la jeune coquette des propos galants. Cette souplesse d'esprit est la marque de deux qualités essentielles : le respect des autres et la tolérance. Naturel et simplicité L'« honnête homme », dans cette adaptation continuelle, doit avoir la nature pour guide : c'est en en tenant sans cesse compte qu'il pourra s'adapter aux autres, qu'il adoptera le comportement adéquat. Mais il lui faut éviter que cette indispensable adaptation ne détruise sa propre nature. Il doit, à tout prix, rester naturel, empêcher que sa personnalité ne soit pervertie par des artifices : être agréable, naturellement, sans chercher à l'être, telle est sa règle de conduite (voir Méré, texte, p. 268). Tout son comportement répond à cet impératif fon¬damental. Il proscrit l'affectation, ne cherche pas à paraître ce qu'il n'est pas, s'efforce d'être simple, refuse l'exagéra¬tion, défend les positions du juste milieu : dans le théâtre de Molière, les personnages excessifs prêtent à rire et connaissent l'échec, tandis que les partisans de la mesure suscitent la sympathie et réussissent dans leurs projets (voir p. 211). Le rejet du pédantisme La conception que l'« honnête homme » a du savoir est directement la conséquence du rôle qui est le sien. La diversité des milieux qu'il fréquente l'oblige à dominer un vaste champ de connaissances. Il possède des lumières sur tous les sujets. Mais il ne doit surtout pas ennuyer. Il sait qu'au cours d'une conversation il a affaire à des personnes inégalement averties des domaines abordés. Il lui faut donc éviter une spécialisation excessive, une technicité trop grande, fuir le didactisme et le pédantisme. Là encore, il doit s'adapter à son auditoire. Les écrivains qui s'adressent au public des salons sont bien conscients de cet impératif. En adoptant des formes plaisantes pour exposer leur pensée, La Rochefoucauld, avec la maxime, le chevalier de Méré, avec la présentation détendue et familière des idées, ou Madame de Sévigné, avec la lettre, font partie de la grande famille des « honnêtes gens ».